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11 décembre 2003

Éditorial du Periscope: Les PPP 


Le gouvernement Charest consolide sa politique autoritaire envers les travailleurs québécois.

Plus de dix ans après la signature de l’ALENA, les pressions dues à une plus forte concurrence née de l’ouverture des marchés entraînent des changements pour le moins chaotiques dans la pratique des relations de travail, notamment par la prolifération des contrats de travail à durée déterminée, de l’emploi sur appel, à contrat, qui, bien souvent, riment avec sous-traitance.

L’an dernier, le gouvernement libéral de Jean Charest nous rappelait comment il était possible de contourner le débat démocratique en imposant unilatéralement, par le bâillon, les modifications à l’article 45 du Code du travail (loi 31) favorisant le recours à la sous-traitance. Voilà donc que l’on apprend, à quelques jours de la fin de la session parlementaire, que ce même gouvernement s’apprête à récidiver afin d’imposer, notamment, la mise en place de l’Agence des partenariats publics-privés (projet de loi 61). Ces deux dossiers sont liés et permettent de mettre en lumière le virage autoritaire des politiques publiques québécoises régissant le marché du travail, une inflexion somme toute prévisible — mais non inévitable —, notamment dans un contexte où l’intégration économique continentale en Amérique du Nord s’est faite à vitesse grand V. Plus encore, soulignons que l’ALENA n’a pas — ou si peu, l’Accord nord-américain de coopération dans le domaine du travail (ANACT), conclue parallèlement, constituant plutôt un « simulacre » de clause sociale — prévu de dispositions capables de contrer ses effets délétères (et tout aussi prévisibles) sur les conditions d’exercice des travailleurs d’ici et d’ailleurs.

L’inadéquation entre les nouvelles pratiques d’encadrement des relations de travail et la législation du travail héritée de l’époque antérieure conduit aujourd’hui le législateur dans la mauvaise direction, soit celle de réviser à la baisse la protection des intérêts des travailleurs au nom de la sacro-sainte norme de productivité. D’ailleurs, dans un article publié à la veille de l’entrée en vigueur de l’ALENA, Gilles Trudeau (1993) prévoyait déjà l’harmonisation à la baisse des standards québécois en matière de législation du travail qui iront, écrivait-il, en s’alignant sur la norme étatsunienne. Une décennie plus tard, cela semble s’être réalisé.

L’esprit de la loi no 31, en ce qui a trait au transfert de propriété d’une entreprise, est calqué sur le modèle américain (National Labor Relations Act) où seule l’obligation de l’employeur à négocier de bonne foi avec le syndicat survit à la passation des pouvoirs. Autrement dit, le nouvel employeur, « sauf s’il est l’alter ego du premier » n’est pas lié par la convention collective négociée et conclue par son prédécesseur (Trudeau, 1993 ; 306) ; cela permettant aux grandes (et moins grandes) corporations de scinder plus facilement leurs activités, d’avoir recours à la sous-traitance, à l’impartition, afin de se dégager des obligations liées aux conventions collectives. La loi 31 du ministre Després visait justement à cautionner ce type de pratique. Les luttes menées actuellement par les syndiqués de la Société des alcools du Québec en ce qui concerne la mise sur pied d’agence de distribution permettent de mettre en relief cette tendance de plus en plus marquée de l’industrie. En outre, la loi 31 annonçait la naissance d’un nouveau type de clause orpheline. Dans les entreprises où le recours à la sous-traitance est carrément proscrit ou, à tout le moins, balisé par la convention collective actuellement en vigueur, les employés seraient à l’abri des nouvelles dispositions de la loi.

Cela dit, bien qu’il y ait aussi un impact dans le secteur public, il faut noter que l’essentiel de l’impact négatif de la modification à l’article 45 concernait les travailleurs du secteur privé. Aujourd’hui, avec la promulgation fort possible de la loi 61 ayant pour objectif de faciliter la sous-traitance des services publics à travers la mise sur pied de partenariats publics-privés (PPP), c’est, éventuellement, à l’ensemble des travailleurs de ce secteur que l’on s’attaque.

Dans un premier temps, soulignons notre accord avec les nombreuses critiques entendues ces derniers temps autour des partenariats publics-privés. Il existe plusieurs bonnes raisons de s’opposer au PPP : le manque de transparence ; les risques élevés de conflits d’intérêts et de relations incestueuses entre les dirigeants publics et ceux de l’entreprise privée ; la gestion « managériale » de la chose publique où les « indicateurs de qualité » inspirés de la « nouvelle gestion publique », née dans les business schools anglo-saxonnes, sont sensés protéger l’intégrité des services offerts aux citoyens ; la centralisation des décisions vers le Conseil du trésor et l’exécutif du gouvernement, etc.

Cela dit, bien qu’on nous les présente comme une nouveauté, il ne faut pas se leurrer, les partenariats entre le secteur public et le secteur privé existent depuis longtemps. Ici, au Québec, qui ne se souvient des dépassements de coûts lors de la construction du stade olympique ! Du métro à Laval! Des « partenariats publics-privé» entre les médecins (payés par les contribuables, faut-il le préciser) et les pharmaciens, entre les pharmaciens et l’État (on pense ici aux coûts astronomiques du régime d’assurance-médicaments) ! L’Ontario a quant à elle « rencontré son Walkerton », où la mauvaise gestion de l’eau (sous forme de PPP) a tourné à la tragédie. Dans cette même province, la « sous-traitance » de la justice vers un tribunal « civil » islamique doit-elle être vue comme un exemple de PPP novateur, le privé étant cette fois-ci la « société civile » ? Ailleurs, les PPP se sont déjà insinués dans de nombreux secteurs de l’économie. Pensons simplement à l’engagement d’Halliburton en Irak, un « PPP » dans le secteur de la guerre ! Le mercenariat au service de la réduction de la taille de l’État.

Certes, on clamera qu’il ne s’agit pas là de PPP tels que ceux que le gouvernement cherche à mettre en place. On préférera évoquer des projets dans la construction de tronçons d’autoroute, d’aires de repos, etc. Cela n’est que diversion. À la vérité, c’est plutôt l’ensemble des services publics qui deviennent susceptibles d’être soumis à la « formule PPP » comme le souligne l’article 6 et 13 du projet de loi (1). Parmi les organismes publics susceptibles de mettre en place des PPP, l’article 7 cite nommément : les ministères (alinéa 1, aucune exception n’est notée), les sociétés d’État (alinéa 2), les écoles et les collèges (alinéa 3), les commissions scolaires (alinéa 4), les universités (alinéa 5), les établissements du réseau de la santé (alinéa 6 et 7), les organismes municipaux (alinéa 8). Surtout, l’alinéa 9 souligne que peut être considéré comme un organisme public pouvant mettre en place des PPP, « tout autre organisme désigné par le gouvernement ».

Les conséquences de cette ouverture éventuelle de l’ensemble des services publics au secteur privé consacré par le projet de loi 61 vont donc beaucoup plus loin que le simple durcissement des conditions du marché du travail dans le secteur public. De nombreuses questions éthiques ne peuvent être évitées. Pensons simplement aux exemples que nous avons énumérés dans le secteur de la défense, de la justice et de la gestion du bien commun essentiel que constitue l’eau.

Cela dit, petit à petit, c’est donc l’ensemble des services publics qui risque de passer sous la houlette de l’Agence des partenariats publics-privés. Au premier rang des victimes, et c’est là le lien que nous faisons avec la loi 31, on peut certes penser aux travailleurs du secteur public dont les conditions de travail risquent d’écoper lors de la transition au PPP. En termes de salaire bien sûr, mais aussi en terme de santé et sécurité. Le reportage du Point (1er décembre) sur les risques élevés encourus par les agents de sécurité dans les prisons ontariennes (en mode PPP) — qui suscite d’ailleurs l’intérêt du ministre (2) de la sécurité publique— était à cet effet très évocateur (3).

Ce que l’on doit éviter d’occulter, c’est que cette mise en place du cadre législatif propice à la prolifération des PPP s’insère dans la droite ligne de la politique autoritaire envers les travailleurs québécois instituée par le gouvernement Charest depuis son arrivée au pouvoir. D’abord la loi 31 consacrant les modifications à l’article 45 du Code du travail. Ensuite, le gouvernement imposait le fractionnement des unités d’accréditation syndicales dans les hôpitaux. Aujourd’hui, le projet de loi 61 sur les partenariats publics-privés. En procédant de la sorte, le gouvernement Charest lance une attaque frontale contre l’ensemble des travailleurs québécois de plus en plus soumis au joug de la sous-traitance, de l’impartition, de la quête absolue de flexibilité sur le marché du travail. Plus encore, ces mesures entraînent la désorganisation des travailleurs et tendent à les opposer les uns aux autres.

Ainsi, Gilles Trudeau avait bien raison de s’inquiéter du sort que l’ALENA réservait aux travailleurs québécois puisqu’on assiste aujourd’hui, à la fois, à l’effritement de la législation québécoise visant à protéger les travailleurs (consacré par la loi 31), au fractionnement des régimes de protections sociales (le projet de loi 57 dont nous n’avons pas parlé en constituant un bon exemple) et à une attaque, indirecte cette fois-ci, à l’encontre des conditions de travail dans le secteur public (projet de loi 61). Et dire que l’on a mis au rancart les 51 recommandations du Rapport Bernier (2003) sur les besoins de protections sociales des travailleurs en situation de travail non traditionnelle, déjà nombreux, et qui risquent de voir leur nombre s’accroître dans la foulée des modifications récentes à la législation québécoise.

Enfin, sur une note plus optimiste, rappelons que le Traité de Rome signé le 25 mars 1957 prévoyait explicitement (article 117) l’harmonisation vers le haut des systèmes sociaux des pays membres et le rapprochement de leur législation afin de promouvoir et d’améliorer les conditions de vie et d’emploi des travailleurs. Dans le même esprit, les négociations actuelles en ce qui concerne l’éventuelle Zone de libre-échange des Amériques (ZLEA) constituent donc un lieu privilégié où nos gouvernements doivent négocier de façon à ce que la protection des travailleurs puisse être garantie (en l’état actuel des négociations, il semble toutefois que l’on persiste à refuser d’incorporer des dispositions pouvant les protéger).

En attendant, au Québec, c’est le gouvernement Charest qui a la responsabilité de protéger les travailleurs et les travailleuses contre les effets pervers de la mondialisation et de ses concurrences effrénées. Malheureusement, le projet 61, dans la foulée de la loi 31 promulguée l’an dernier, apparaît véritablement comme un autre pas en arrière.


(1) Un contrat de partenariat public-privé est un contrat à long terme par lequel un organisme public associe une entreprise du secteur privé, avec ou sans financement de la part de celle-ci, à la conception, à la réalisation et à l'exploitation d'un ouvrage public. Un tel contrat peut avoir pour objet la prestation d'un service public (article 6).
Un organisme public partie à un contrat de partenariat peut, aux conditions qu'il détermine, déléguer à un partenaire l'exercice de toute fonction ou de tout pouvoir autre que réglementaire requis pour l'exécution du contrat (article 13).

(2) Et dont les péripéties actuelles laissent effectivement entendre qu’il aurait intérêt à sous-traiter la sécurité, du moins celle de ces partenaires de chasses ! scusez-là.

(3) Par ailleurs, le même reportage permettait également de prendre la mesure de ce que signifie la « transparence » dans un PPP : les gardiens sont tenus au silence, les ennuis de santé des détenus ne sont pas signalés pour éviter les risque d’évasion lors d’une visite à l’hôpital (santionnée par des pénalités monétaires), etc.


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